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Mercredi 12 septembre 2018 : Christian BÉGIN, « Tocqueville et Napoléon III : une relation paradoxal

Christian BÉGIN, « Tocqueville et Napoléon III : une relation paradoxale »

La Société d’archéologie et d’histoire de la Manche

Section de Valognes

vous invite le

Mercredi 12 septembre 2018

Salle Paul Éluard, hôtel-Dieu, rue de l’hôtel-Dieu, Valognes

à 18h00 précises

à une conférence intitulée

« Tocqueville et Napoléon III : une relation paradoxale »

par Monsieur Christian BÉGIN

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850)

Alexis de Tocqueville par Théodore Chassériau (1850)

Lafosse, Portrait officiel de Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République française (1848-1851)

Lafosse, Portrait officiel de Louis-Napoléon Bonaparte, Président de la République française (1848-1851)

Alexis de Tocqueville est surtout connu comme l’un des grands penseurs libéraux de son temps. Louis-Napoléon Bonaparte, lui, est un homme d’action qui arrivera au pouvoir absolu par un coup de force. On imagine donc difficilement que ces deux hommes aient jamais pu s’entendre en politique. Tocqueville, pourtant, atteint le zénith de sa carrière politique comme ministre de Louis-Napoléon. Ce paradoxe appelle une explication.

Précisons d’abord leurs divergences. La première porte sur la meilleure manière d’habituer les Français à l’égalité des conditions. Pour Tocqueville c’est en leur donnant des institutions qui garantissent la liberté. Pour Louis-Napoléon Bonaparte, c’est en donnant la priorité à l’ordre, qui nécessite un chef, légitimé par le suffrage universel. À cette différence près, Louis-Napoléon voulait lui aussi la liberté, celle que, selon lui, son oncle n’avait pas eu le temps de réaliser. Le libéralisme de Tocqueville s’étend au domaine économique et social. Il récuse tout interventionnisme industriel et tout assistanat en matière sociale. Louis-Napoléon nous paraît plus moderne. Influencé par le saint-simonisme, il entend encourager le productivisme industriel et le crédit, et, dans un contexte de crises de surproduction accompagnées de chômage, il estime que l’État doit faire quelque chose. Cependant, pour l’essentiel, Louis-Napoléon reste libéral en économie. Enfin, influencé par le Mémorial de Sainte-Hélène et par l’opinion publique d’une Allemagne où il a étudié, il adhère au principe des nationalités. Ce n’est pas le cas de Tocqueville. Pour lui, la liberté est indissociable de la responsabilité morale : c’est une prérogative de l’individu, non de groupes ; le principe des nationalités est une imposture que des révolutionnaires exploitent pour conquérir le pouvoir à leur profit.

Quelle latitude ces divergences leur laissent-elles pour qu’ils puissent gouverner ensemble ? Essentiellement celle des circonstances. En 1848, dans son manifeste de candidat à la Présidence, Louis-Napoléon promet de respecter la constitution, il affiche son libéralisme, et il ne dit mot du bouillonnement des nationalités qui agite l’Europe. Tocqueville ne se cachera jamais les menaces qui pèsent sur le régime. Mais au lendemain de l’élection, il soutient « de toutes ses forces » le Président que les Français ont voulu. En 1849, les risques de sortie de la légalité se présentent plutôt du côté de la nouvelle Assemblée. On y affiche un grand mépris du Président. Pour Tocqueville, « le mieux » est de défendre la République. Il passe alors du simple légalisme à une participation au gouvernement. En charge des Affaires étrangères, il est un ministre loyal. Puis, suite au renvoi du gouvernement, il revient à l’état de simple député. En 1851, le mandat du Président approche de son terme. La Constitution interdit une réélection. Le risque d’un coup d’État par le Président lui-même se précise. Tocqueville tente de le conjurer. Il entame une procédure de révision. Elle échoue. Il imagine alors, comme solution « la moins illégale », une réélection inconstitutionnelle, qui aurait pour elle l’expression de la souveraineté du peuple. Avec le coup d’État, c’est la fin de tout contact. Mais la rupture n’est cependant pas vécue comme définitive. La République est devenue impopulaire, le comte de Chambord reste fermé aux idées constitutionnelles, les Orléans sont coupés du peuple. Quelle chance reste-t-il aux Français de retrouver la liberté ? Tandis que Louis-Napoléon conserve toute son estime à son ancien ministre, Tocqueville n’espère plus qu’en une libéralisation de l’Empire lui-même. Il mourra avant d’avoir pu y assister.


Christian Bégin

Christian Bégin


Ancien élève de l’École nationale de la France d’outre-mer, Christian Bégin a fait carrière au Ministère des Finances comme Administrateur civil et comme directeur au Secrétariat général de l’ONU. Il consacre sa retraite à l’étude de Tocqueville. Dernier ouvrage publié : Tocqueville et ses amis (volume 1 : De l’écriture à la politique ; volume 2 : De la politique à l’écriture).

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